[Texte publié dans artpress n° 536 (octobre 2025), p. 77.]
Du 12 juillet au 11 octobre, ARTETXE accueille une proposition de Boris Achour intitulée LANGOREYE (L’œuvre d’art à l’ère de sa transmission orale) ((Une exposition de proximité)) avec Åbäke, Boris Achour, Carla Adra, Jean-Max Colard, Jagna Ciuchta, Romain Gandolphe, Dora Garcia, Mark Geffriaud, David Horvitz, l’huipier (Maxime Andres, Aloïs Chalopin, Emma Fleury-Cancouët, Louise Guégan), Florence Jung, Édouard Levé, Liv Schulman et Lawrence Weiner.
Inauguré il y a un an, ce centre d’art associatif s’est installé dans une ancienne coopérative agricole de 600m2 à Tardets-Sorholus, un village de 500 habitants situé en Soule dans le Pays basque intérieur. Participant d’un désir de décentrement – géographique, conceptuel, culturel, linguistique – observé ces dernières années chez des artistes et des commissaires de plus en plus nombreux à vouloir investir des espaces hors des villes, souvent en lien avec leurs terres natales, ce nouveau lieu de création et de diffusion ambitionne de sortir d’un schéma de lecture univoque des rapports entre centre et périphérie.
À l’invitation qui lui a été faite par ARTETXE, Boris Achour a imaginé une exposition de « proximité », comme on parlerait de commerces ou de services assurant l’essentiel de nos besoins en nourriture, en soins, en éducation, en culture. Plutôt que de réagir au contexte basque ou à la réalité souletine – impliquant une langue minorisée ainsi qu’une littérature orale vivante –, LANGOREYE initie, non sans humour, une forme de conversation générale, portée par une pratique ininterrompue de la parole, qu’il s’agisse de transmettre une œuvre ou d’en produire une. Dix-neuf œuvres de quatorze artistes ou collectifs d’artistes de différentes générations viennent dessiner un espace où le réel et l’imaginaire s’interpénètrent au moyen de formes et de récits traitant à parts égales l’œil et la langue. Certaines contributions n’ont d’ailleurs pas d’existence matérielle autre que celle du récit par lequel elles accèdent à une forme de réalité. Afin de les faire exister le temps de l’exposition, des médiatrices – comédiennes de théâtre – accueillent plusieurs fois par semaine les visiteurs, qu’elles guident (en français ou en basque) dans cet espace physique et mental. À la manière d’un art de la mémoire, LANGOREYE propose un découpage spatio-temporel particulièrement suggestif (l’ici-maintenant de certaines pièces, l’au-delà d’autres, le projet dans le projet) et suscite par ce biais des images mentales qui résistent au temps. Les médiatrices, si elles préparent leur « texte », engagent aussi un dialogue spontané avec les visiteurs, et incarnent une parole plurielle qui dépasse le pur événement, car elle le précède et lui survit. Continuellement malaxée, pareille à une terre argile ou une pâte à pain, cette voix ne cesse, à travers les œuvres, d’être rapportée, enregistrée, amplifiée, assemblée au moyen de différentes techniques, allant du poste téléphonique à l’intelligence artificielle en passant par la radio, le microphone, le vinyle, le CD ou le smartphone.
La réussite de cette exposition tient à sa quête d’une origine du geste créatif, à sa nature profondément sociale et rituelle, passant et repassant par la parole, et dont le médium principal demeure l’oralité, indépendamment des évolutions technologiques.
Clara Pacquet