[Recension] Cesare Brandi, En finir avec les avant-gardes

Cesare Brandi, En finir avec les avant-gardes, Collection Æsthetica, Éditions Rue d’Ulm/Presses de l’ENS-PSL, 2024, 200 p.

Texte publié dans artpress n° 526, novembre 2024, p. 97.

En France, on connaît de Cesare Brandi, historien de l’art italien, sa Théorie de la restauration (1963), une référence pour la discipline. Moins connues en revanche sont ses prises de position radicales sur l’art de son temps. Comblant ce manque, les presses de l’ENS-PSL rassemblent dans une riche édition trois textes publiés en 1949, 1951et 1978 sous le titre En finir avec les avant-gardes. Ce spécialiste de la Renaissance fut contemporain de Pasolini, lequel disait à son sujet : « Cet éternel, ce diabolique, cet inconnu : Cesare Brandi est l’homme le plus rare et le plus difficile que j’aie rencontré ». En 1966, Pasolini signe d’ailleurs un article dont il reprend le titre d’un des trois essais ici publiés : « La fin de l’avant-garde ». Si pareille formule sonne familière aux oreilles d’un contemporain du XXIe s., alors que postmodernisme et déconstruction des grands récits appartiennent désormais à la tradition, l’intérêt de lire Brandi aujourd’hui réside dans le fait d’emprunter un autre chemin pour arriver au même constat. Sa condamnation sans appel des avant-gardes à l’exception du cubisme est bien entendu excessive – dadaïsme, surréalisme, abstraction, art conceptuel, jazz et cinéma, tout y passe –, héritières selon lui de ce qu’il y a de pire dans le romantisme, c’est-à-dire d’un subjectivisme ravageur invalidant toute théorie solide de la forme ; néanmoins sa verve polémique contre l’idée d’un art entièrement tourné vers le futur, libéré de la tradition et carburant à la nouveauté, vient nous rappeler que tout discours sur l’art, a fortiori sur son histoire, ne peut faire l’économie d’une philosophie de l’histoire. Relevant d’une critique de la culture et d’une pensée du déclin, l’inactualité au sens nietzschéen de ces essais vient rétrospectivement éclairer notre époque à contre-jour.

Clara Pacquet