[WISS. BEITRAG] Das Gefühl der Vollendung bei Karl Philipp Moritz

John Baldessari, Pure Beauty 1966-68, acrylic on canvas. Courtesy of Baldessari Studio and Glenstone.

John Baldessari, Pure Beauty 1966-68, acrylic on canvas. Courtesy of Baldessari Studio and Glenstone.

C. Pacquet, « Le sentiment de l’achèvement chez Karl Philipp Moritz », in: Elisabeth Décultot und Gerhard Lauer (dir.), Kunst und Empfindung. Zur Genealogie einer kunsttheoretischen Fragestellung in Deutschland und Frankreich im 18. Jahrhundert, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2012, p. 147-156.

Extrait:
Cela peut faire l’effet d’un contresens que de parler de « sentiment de l’achèvement chez Karl Philipp Moritz », lui qui est notamment connu pour son texte de 1785 intitulé Versuch einer Vereinigung aller schönen Künste und Wissenschaften unter dem Begriff des In sich selbst Vollendeten. Dans ce texte, l’achevé en soi est clairement présenté par Moritz comme un concept ; or, la manière dont il poursuit sa réflexion sur l’art trois années plus tard dans son essai de 1788, écrit à Rome aux côtés de Goethe, Über die bildende Nachahmung des Schönen, tend à intégrer davantage ce qui relève de l’ordre du sentiment dans notre rapport aux œuvres d’art.

En effet, si elles sont achevées en soi, c’est-à-dire animées d’une finalité intrinsèque qui conditionne leur autonomie vis-à-vis du dehors, les produits d’art apparaissent aussi sous la forme de signatures, d’empreintes ou de traces, des formes donc qui se meuvent, voire flottent, entre un achèvement et un inachèvement, un plein et un vide, une fixité et un mouvement, une histoire et son expérience. Les œuvres d’art sont prises dans une histoire, un passé dont il nous faut déchiffrer les traces présentes et savoir aussi les réanimer, les interpréter de manière vivante, les éprouver. L’art est en ce sens producteur de traces douées d’un fort potentiel de réanimation ; et les traces artistiques se démarquent de l’ensemble des traces historiques, car elles sont chargées d’une finalité qui, en dépit d’un corps de l’œuvre qui peut être parfois abîmé, garde sa cohérence et sa force.

C’est la finalité qui donne son squelette à l’histoire et une structure à la réception que nous pouvons faire encore aujourd’hui d’œuvres très anciennes, dont il nous reste très peu d’éléments pour orienter de manière « objective » notre interprétation. Faire l’expérience de l’histoire, gagner un sentiment historique sur le sol classique qu’est Rome, c’est-à-dire un sol où le particulier et l’universel jouissent d’une union dynamique exemplaire, un sol où l’on peut user d’un jugement qui sache déterminer et réfléchir en même temps, une ville-idée, un en kai pan : voilà ce qui semble être décisif dans cet écrit de 1788, essai dans lequel Moritz revoit les rapports qu’entretiennent sentiment et concept dans l’œuvre d’art, qu’il s’agisse d’une œuvre d’art pour l’artiste qui crée ou bien d’une œuvre d’art à consommer pour un hypothétique spectateur, parce que penser les rapports entre art, nature et histoire l’implique nécessairement.

La question que nous aimerions donc ici poser est la suivante : y a-t-il une objectivité du tout, une objectivité de l’achèvement et donc aussi de l’œuvre d’art, ou bien cela n’existe-t-il qu’au sein d’un sujet ? Quelle est la part de sentiment dans l’idée même d’achèvement ? Si la totalité relève d’une impression, au sens d’un état subjectif, cela vient-il annuler, fragiliser ou plutôt renforcer sa part d’objectivité ? L’impression exclut-elle l’idée ? Où situer le sentiment, lui qui n’est ni pure sensation ni pur concept? Quelle serait cette zone difficile à localiser entre sensibilité et idée ? Pareille question est déterminante en cette seconde moitié du 18ème siècle, période au cours de laquelle nous tentons d’élaborer à la fois un discours historique sur les œuvres d’art et une philosophie de la connaissance sensible à même de théoriser l’expérience que nous faisons de l’art et du beau.

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