L’anthropologie visuelle de Jean Rouch
Texte paru dans la revue VISUAL HISTORY. Rivista internazionale di storia e critica dell’immagine, N. 2, 2016 (décembre), Pisa-Roma, Fabrizio Serra editore, p. 109-122. Revue annuelle. Directrice de la publication: Costanza D’Elia.
[TEXTE INTÉGRAL]
Dans la France des années 1950, on assiste à la naissance d’un nouveau cinéma avec les films de l’anthropologue Jean Rouch (1917-2004). Chercheur au C.N.R.S., Jean Rouch part en Afrique faire des missions ethnographiques et développe dans ce cadre une œuvre cinématographique singulière qui compte énormément pour les cinéastes qui lui sont contemporains. Avant et pendant la guerre, Rouch reçoit une formation d’ingénieur. Il étudie à Paris à l’Ecole nationale des ponts et chaussées. Ironie du sort : son savoir technique lui sert d’abord à détruire plutôt qu’à construire des ponts, car il est envoyé en mai 1940 sur le front à l’est de Paris et en juin 1940 dans l’Ouest de la France (Limousin) pour retenir la progression des troupes de la Wehrmacht.
En août 1940, il est démobilisé. Il rentre alors à Paris et termine son diplôme d’ingénieur, tout en suivant ses premiers cours d’ethnographie au musée de l’Homme. C’est là qu’il rencontre le professeur Marcel Griaule, qui deviendra son directeur de thèse, et l’écrivain Michel Leiris. En 1941, Rouch décide de s’engager comme ingénieur des Travaux publics des Colonies. Il est affecté à Niamey au Niger pour y construire des routes, et des ponts. Parallèlement à son activité d’ingénieur, il se prend d’intérêt pour les mythes et les rituels des peuples africains auxquels il se confronte : il s’enthousiasme tout particulièrement pour les Songhai et veut comprendre comment les Sorko – peuple de pêcheurs, chasseurs d’hippopotames et de crocodiles – pratiquent leur mythologie de l’eau.
A Niamey, Rouch rencontre Damouré Zika, pêcheur sorko ouvrier sur un chantier. Une amitié se noue entre eux et Rouch propose à Damouré Zika de travailler comme assistant sur ses films[1]. C’est à partir de cette première expérience que la plupart de ses films ont vu le jour. Dès le départ, Rouch témoigne d’une intention double : documenter la culture des Sorko et, en même temps, développer une réflexion sur la forme même de l’enquête ethnographique. Son objectif est de provoquer une interaction entre son objet de recherche et lui-même comme sujet scientifique, pour ensuite observer au moyen du film comment cette interaction fonctionne.
Dans cet article, il sera question d’analyser l’œuvre de Rouch et sa méthode de travail au regard de l’anthropologie visuelle, laquelle exploite la part esthétique de la connaissance, définie au 18ème siècle par Baumgarten comme « analogon rationis ». L’anthropologie visuelle repose sur la conviction que la caméra et l’enregistrement sonore produisent un nouveau savoir anthropologique, surtout lorsqu’il s’agit de cultures qui n’ont pas l’usage de l’écriture. De cette manière, l’anthropologie visuelle partage l’idée des Lumières qu’un niveau non-discursif de la connaissance, fonctionnant par analogie avec la raison, est possible, ménageant ainsi la possibilité d’un rapport subjectif à la vérité.
Dans cette entreprise, la caméra de Rouch remplit la fonction d’un catalyseur sur un plan cognitif, mais dessine également le terrain d’expérimentations nouvelles d’un point de vue artistique. La caméra vient dynamiser la compréhension des opposés : entre objet et sujet, théorie et pratique, réalité et imagination. Elle rend ainsi une autre logique de la recherche possible. Dans l’œuvre de Rouch s’unissent des principes fondamentaux de la pensée des Lumières avec une conception moderniste de la spécificité du médium. A travers cette constellation, les liens entre l’art et le savoir s’en trouvent nouvellement définis.
Pour son travail scientifique comme chercheur au C.N.R.S., Rouch se rend régulièrement en Afrique avec une caméra 16mm et un magnétophone autonome afin de réaliser ses projets de films. Produits hybrides d’une enquête scientifique doublée d’un travail artistique sur la forme cinématographique, les films de Rouch ont été réalisés à des fins ethnographiques et leur réception a lieu d’abord dans un contexte universitaire. Pour autant, leur influence sur les réalisateurs de la Nouvelle Vague n’en est pas moins significative dès les années 1950 et la revue Les Cahiers du cinéma s’est faite le relais principal d’une réception dont l’audience a pu immédiatement dépasser le seul champ de l’anthropologie[2].
Si le cinéma de Rouch opère un changement radical dans la manière de penser la recherche en anthropologie dans la France des années 1950 par l’usage de l’enregistrement filmique qu’il propose, il faut prendre en compte l’impact de ce cinéma sur le monde de l’art qui lui est contemporain. Jean-Luc Godard par exemple rappelle maintes fois sa dette envers Rouch et, surtout, envers la réactualisation qu’il initie du concept de « Kino Pravda » (« cinéma vérité », en référence directe à Tziga Vertov[3]). Si l’on en croit Godard, l’idée d’A bout de souffle (1960) lui serait venue après avoir vu le film de Rouch Moi, un noir (1958)[4].
Dans un style documentaire, Moi, un noir décrit un groupe de jeunes immigrés nigériens à Treichville, faubourg d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Un commentaire subjectif accompagne les images – en partie dit par Rouch lui-même, en partie par les jeunes hommes filmés qui jouent leur propre rôle mêlant des éléments réels et des éléments fictifs. Les commentaires sont pris sur le vif et improvisés pendant le visionnage d’un premier montage fait à partir des rushes. Pendant le montage final du film, Rouch utilise le procédé de la « passation de parole » : s’il parle en son nom de réalisateur, donnant des éléments de contextualisation pour lire les images filmées et précisant ses intentions, il passe constamment la parole aux personnages qu’il filme afin de les intégrer activement dans l’étape de réalisation du commentaire, amenés à réagir par rapport à leur premier jeu d’acteur devant la caméra et compliquant ainsi le partage des rôles. Le « commentaire » ici est toujours une parole en acte. Il s’agit d’un commentaire en train de se faire et qui doit être partagé entre tous les acteurs du film.
Ce procédé cinématographique impressionne Godard, car il introduit une dimension réflexive sur le médium du cinéma et, par la même occasion, une liberté de ton radicale venant légitimer un certain rapport « amateur » et improvisé à la technique[5]. Si le film remplit une tâche documentaire, il introduit également dans la description qu’il donne de la dure réalité de la vie quotidienne des jeunes immigrés nigériens d’Abidjan une dimension poétique, car il place l’imaginaire et le jeu au centre de la fabrication du film, c’est-à-dire au centre de la construction de sa narration.
Les films de Rouch mélangent différents registres : celui du film documentaire avec celui du film de fiction, celui de la recherche artistique avec celui du rapport scientifique. Œuvres cinématographiques à plusieurs facettes qui, dans leurs différences, peuvent aller jusqu’à la contradiction, c’est-à-dire mêlant rigueur et absurde, les films de Rouch viennent interroger le rapport de la réalité à la vérité en prenant appui sur les images que nous produisons de cette réalité. Outre l’importance croissante que joue le structuralisme dans une nouvelle définition du réel (Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes, Jacques Lacan), la société française des années 1950 traverse une crise qui remet en question ladite réalité qui nous entoure et interroge son caractère idéologique.
Les retombées de la Deuxième Guerre Mondiale et du Régime de Vichy, la collaboration avec les Nazis, l’antisémitisme, ainsi que la période coloniale en Afrique, ont laissé de nombreuses blessures dans l’image et la mémoire collectives qui ont été refoulées. Même si la Guerre d’Algérie (1954-1962) est omniprésente – car les jeunes hommes mobilisés sont nombreux – cette guerre reste presque invisible et inaudible dans le débat public. C’est dans ce contexte que grandit la colère politique de la jeune génération d’après-guerre. Chronique d’un été (1961), que Rouch réalise avec le sociologue et philosophe Edgar Morin, compte parmi les rares films à traiter explicitement de la crise algérienne. A la manière du « cinéma direct », le film met en scène un sondage sur le bonheur, réalisé à Paris pendant l’été 1960[6]. « Êtes-vous heureux ? » est la question que Rouch et Morin posent dans le film aux passants sur le mode du micro-trottoir, ainsi qu’à des interviewés volontairement choisis au cours d’entretiens plus étoffés, comme s’il s’agissait d’un sondage de « psycho-sociologie ». Au fil des entretiens, outre la guerre d’Algérie, émergent d’autres sujets comme le marxisme, l’indépendance du Congo ou encore le camp d’extermination d’Auschwitz.
La tentative de rendre visible l’histoire refoulée rend possible une réflexion, tant au plan collectif qu’individuel, sur la « sauvagerie » ou la « cruauté » qui caractérise cette époque. Ce que l’on a coutume d’appeler « civilisation » apparaît davantage comme un champ de tensions où sévissent des agressions inavouées, terrain d’expression de pulsions inconscientes négatives, violentes. Alors que les sociétés industrialisées se révèlent sauvages et cruelles dans leurs agissements, les cultures non-industrialisées se montrent civilisées et humaines. La colonisation par la force, ainsi que la « modernisation » des pays non-industrialisés, engendrent des traumatismes qui apparaissent clairement comme la preuve d’un pouvoir agissant de manière violente[7].
Le bilan de cette histoire occidentale conflictuelle et destructrice débouche sur une mélancolie que le livre de Lévi-Strauss Tristes tropiques (1955) diagnostique avec une grande lucidité. Nous assistons à la fin d’un monde – dont les peuples traditionnels de tous les continents sont les derniers témoins – et la tâche de l’anthropologue est de transmettre par écrit ces formes de vie sur le point de mourir, afin que nous puissions en conserver le plus grand nombre de traces possible et écrire cette histoire. Face à ce travail de deuil imposé, face à ce terrible constat, Rouch invente une nouvelle forme de joie par l’art et la science capable de transformer la perte d’un ordre harmonieux entre l’homme, la nature et l’histoire en l’expérience positive d’une nouvelle interprétation du présent.
Dans Les Maîtres fous (1954), Rouch filme un rituel de possession de la secte des Hauka à Accra. Les Hauka vouent un culte aux « dieux nouveaux », c’est-à-dire, comme le précise Rouch dès le début du film dans son commentaire en voix-off : « les dieux de la ville, les dieux de la technique, les dieux de la force ». La caméra montre une réunion annuelle importante du culte Hauka pendant laquelle les participants à la cérémonie sont possédés par les esprits de personnalités du pouvoir colonial britannique d’aujourd’hui et d’autrefois, et parfois même par des figures non-humaines comme la « locomotive ».
Rouch comprend ce culte comme le traitement, ou la transformation, d’un traumatisme engendré par le colonialisme sur un mode cathartique. Dans son commentaire en voix-off, il attribue à ce rituel une fonction thérapeutique et laisse entendre qu’une pareille thérapie pourrait représenter un chemin possible pour soigner les blessures causées par le colonialisme. Un court prologue, en forme d’avertissement, annonce dès le début du film : « Le producteur, en présentant au public ces documents sans concession ni dissimulation, tient à l’avertir de la violence et de la cruauté de certaines scènes. Mais veut le faire participer complètement à un rituel qui est une solution particulière du problème de la réadaptation, et qui montre indirectement comment certains africains se représentent notre civilisation occidentale. »
Avec Les Maîtres fous, Rouch voudrait placer les traumatismes issus de la colonisation dans une nouvelle lumière et montrer aux non-colonisés qu’une autre compréhension de l’histoire est possible grâce au traitement actif et au travail dans le présent des blessures provoquées par le passé. Le film n’a été reçu positivement ni par les intellectuels africains ni par les anthropologues européens (comme le directeur de thèse de Rouch par exemple, le professeur en anthropologie Marcel Griaule), parce qu’il transmettait à la fois une image violente des africains et une critique sans appel du pouvoir colonial. On exige même de Rouch de détruire le film[8]. Les Maîtres fous attirent pourtant immédiatement l’attention pendant le festival organisé par Jean Cocteau à Biarritz « Le film maudit ».
Le critique et théoricien du cinéma André Bazin, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, voit le film de Rouch et publie un texte dithyrambique, hissant Rouch au rang de figure inspiratrice décisive pour le cinéma français de l’époque. Jean Genet place Les Maîtres fous comme modèle déclencheur pour sa pièce de théâtre Les nègres jouée pour la première fois à Paris en 1959 par la Compagnie des Griots, composée exclusivement de comédiens noirs, dans une mise en scène de Roger Blin. Peter Brook s’en inspire pour la mise en scène de Marat-Sade et demande à ses comédiens de travailler leurs rôles à partir du film. On voit en Rouch un continuateur d’une esthétique de la cruauté dans la lignée d’Antonin Artaud, mais doublée d’un caractère positif : celui d’un possible dépassement de cette cruauté pour aller vers la joie et l’apaisement. En référence à Dionysos, qu’il évoque plusieurs fois dans son œuvre, Rouch incarne alors pour les artistes et les cinéastes qui lui sont contemporains, la figure d’un ethnologue enthousiaste qui, grâce à une certaine ivresse et des actions artistiques radicales, produit un nouveau type de savoir ouvrant ainsi un chemin inédit vers la connaissance historique.
Rouch construit sa définition de l’anthropologie à partir d’un héritage hétérogène, dans lequel il puise toujours à nouveau, afin de produire des formes de savoir par le cinéma. Parmi les références qui constituent cet héritage, on compte tout d’abord le surréalisme, notamment avec le concept inauguré par André Breton de hasard objectif, ainsi que la méthode de composition du cadavre exquis. Puis viennent ensuite le théâtre d’Antonin Artaud (son « théâtre de la cruauté »), la tradition du premier cinéma documentaire (Tziga Vertov, John Grierson, Robert Flaherty), les recherches en ethnologie de Marcel Mauss et de Marcel Griaule, la pratique de l’improvisation dans la musique du jazz, ainsi que la méthode mathématique dite des « approximations successives » que Rouch a apprise pendant ses études d’ingénieur à l’Ecole nationale des ponts et chaussées à Paris. Le réalisateur Rouch combine alors ces différentes méthodes scientifiques et artistiques sans introduire de hiérarchie entre elles.
Dans la tradition du cinéma russe des années 1920 qui travaille les tensions entre film documentaire et film de fiction, Rouch comprend lui aussi la représentation d’un événement à travers la caméra comme une forme de construction de savoir. En référence à Vertov et son Kinoglaz (ciné-œil), la caméra s’apparente à un organe. Partant du corps du réalisateur, elle n’est pas seulement le re-transcripteur passif de la réalité enregistrée, mais devient elle-même un acteur du film[9].
La caméra initie une danse (ciné-transe), supposant un rapport essentiel au mouvement dans la construction d’une représentation. Avec les films de Rouch, la connaissance se définit par son caractère performatif, c’est par l’action de filmer que l’on apprend à connaître ce que l’on filme. Les deux procédés – l’enregistrement documentaire et la représentation fictive, l’expérience et l’analyse – deviennent les instruments d’une recherche de terrain en anthropologie, au cours de laquelle la confrontation des méthodes et des points de vue peut remplir une fonction cognitive. Rouch s’approprie ainsi le concept vertovien de cinéma-vérité (Kino-Pravda[10]) et voit dans le fait d’inventer librement des histoires (il n’écrit jamais de scénario avant le tournage d’un film) la condition nécessaire pour qu’un moment de vérité puisse surgir dans le film.
Tout autant pendant le tournage que pendant le montage du film, il expérimente au moyen de la narration et improvise avec des commentaires subjectifs, dits à la première personne, qu’il ajoute tout à la fin de la réalisation du film[11]. Le refus du scénario s’impose : le texte ne doit pas prendre le pouvoir sur l’image, les intentions qui précèdent au film ne doivent pas déterminer le film, les récits imposés par le contexte colonial ne doivent pas dominer l’écriture de l’histoire, qu’il s’agisse de l’histoire racontée par le film ou de l’histoire des peuples représentés par le film. La vérité et les illustrations que nous nous essayons à livrer d’elle se situent au centre de la recherche cinématographique de Rouch.
Ce que nous appelons « vérité » est le fruit d’une construction qui se situe par rapport à la réalité, c’est-à-dire par rapport à ce qui nous entoure, avec ses flous, ses imprécisions, ses filtres, ses manipulations. En ce sens, Rouch ne comprend pas la représentation de la vérité comme un appauvrissement ou une illusion, mais plutôt comme un chemin singulier nous menant à elle, puisqu’elle ne se livre jamais comme telle, mais réclame la construction d’une relation à elle. La réalité n’est donc pas, non plus, pensée comme une réalité que l’on pourrait reproduire de l’extérieur et que l’on pourrait enregistrer comme telle, puisque cette réalité peut être à peu près tout, tant son acception est large et polysémique. Ladite réalité s’apparente à une situation. Il s’agit davantage du produit de la rencontre entre ce qui est filmé et le film lui-même, produit au sein duquel les comédiens, le réalisateur, la caméra et l’imagination partagée entre tous ces acteurs forment le cadre de cette réalité produite par le film et que le film vient documenter.
Rouch se présente à la fois comme le pionnier d’un nouveau cinéma (le cinéma-vérité) et d’une nouvelle anthropologie qui tous deux prétendent exploiter le potentiel de vérité de l’image cinématographique, c’est-à-dire pensée comme un outil non-textuel de connaissance dont la capacité à décrire le réel dépend d’une aptitude à la synchronie que le texte ne possède pas. Ses films interrogent ainsi la possibilité de produire un savoir non-verbal[12].
Une caméra peut capter des mouvements, saisir l’évolution dans l’espace et le temps des corps, les voix, les visages, toute une gamme d’expressions qui ne passent pas par le langage. Aussi, le fait de ne pas faire appel au texte ou de se servir de la caméra comme d’une « caméra-stylo » offre un moyen d’expression à ceux qui, à défaut d’une écriture, produisent une culture basée sur le geste et la parole. De plus, Rouch aborde frontalement le fait qu’un film, même celui dont les velléités sont documentaires, est toujours le fruit d’une mise en scène. Il est d’abord le producteur d’une réalité, d’une situation à travers / avec les acteurs qui la produisent et l’incarnent. La responsabilité du réalisateur est de savoir respecter et tenir ce contrat de vérité que Rouch nomme « la mise en scène de la réalité », c’est-à-dire de ne pas tenter de manipuler de l’extérieur, à la manière d’un démiurge ou d’un narrateur omniscient, ce qui se passe entre le film et le filmé. Respecter ce contrat suppose que les frontières entre fiction et vérité soient comprises comme mouvantes, organiques, et le talent du filmeur sera la souplesse de sa gymnastique à passer d’un registre à l’autre.
Dans le catalogue Jean Rouch, une rétrospective, Rouch décrit cette « mise en scène de la réalité » en ces termes : « Pour moi, cinéaste et ethnographe, il n’y a pratiquement aucune frontière entre le film documentaire et le film de fiction. Le cinéma, art du double est déjà le passage du monde du réel au monde de l’imaginaire, et l’ethnographie, science des systèmes de la pensée des autres est une traversée permanente d’un univers conceptuel à un autre, gymnastique acrobatique où perdre pied est le moindre des risques. Déjà dans le tournage d’un rituel (par exemple : une danse de possession chez les Songhay ou des funérailles chez les Dogons) le cinéaste découvre une mise en scène complexe et spontanée dont il ignore la plupart du temps qui est le maître d’œuvre ; est-ce le prêtre assis sur son fauteuil, est-ce ce musicien nonchalant, est-ce le premier danseur au fusil ?
Mais il n’a pas le temps de chercher ce guide indispensable s’il veut enregistrer le spectacle qui commence à se dérouler et qui ne s’arrêtera plus, comme animé de son propre mouvement perpétuel. Alors le cinéaste « met en scène cette réalité », improvise ses cadrages, ses mouvements ou ses temps de tournage, choix subjectif dont la seule clé est son inspiration personnelle. Et, sans doute, le chef d’œuvre est atteint quand cette inspiration de l’observateur est à l’unisson de l’inspiration collective qu’il observe. Mais cela est si rare, cela demande une telle connivence, que je ne peux la comparer qu’à ces moments exceptionnels d’une jam session entre le piano de Duke Ellington et la trompette de Louis Amstrong, où les rencontres fulgurantes d’inconnues dont André Breton nous fit parfois le compte-rendu[13]. » La ciné-transe de l’anthropologue fonctionne sur un modèle d’imitation : en présence d’un rituel dont il ne comprend pas tous les rouages, toutes les strates de signification, le filmeur-anthropologue comprend peu à peu la structure, les articulations, le rythme de la mise en scène à laquelle il assiste. Il met en scène son film par analogie avec le « théâtre » qui se déroule sous ses yeux.
L’hypothèse fondatrice de l’anthropologie visuelle est donc que la construction d’une connaissance peut avoir lieu en-dehors du langage, et même, produire un type de connaissance qui ne pourrait jamais exister par le langage, car il s’intéresse à un autre type d’informations et d’objets lui échappant. L’anthropologie visuelle se définit comme une branche de l’anthropologie produisant des documents non-écrits justement là où une méthode discursive apparaît comme insuffisante pour décrire et comprendre certains objets. Cela vaut d’autant plus lorsque ces objets d’étude proviennent de cultures qui n’utilisent elles-mêmes pas l’écriture et qui développent plutôt une pratique orale, visuelle, musicale dans leur contexte de vie, dans leurs institutions, dans l’expression de leurs savoirs et de leurs traditions.
Au sein de l’élaboration d’un savoir non-verbal, le cinéma et son histoire ont joué un rôle décisif. La tension originelle entre le cinéma documentaire et le cinéma dit « de fiction » en est la preuve : alors que les frères Lumière filment des scènes de la vie quotidienne (le travail, le loisir, la famille, les machines, etc.) et prennent ainsi parti pour un cinéma réaliste, Georges Méliès met en scène pour la caméra des histoires imaginaires dans des décors extravagants et défend de cette manière un cinéma du merveilleux et de l’invention[14]. L’image et le son deviennent les instruments de la construction d’un savoir non-discursif et les acteurs d’une expérimentation : comment la réalité se comporte-t-elle face à la fiction et vice-versa ? Dans quelle mesure la technique cinématographique est-elle l’expression de ce rapport d’interdépendance ?
La mythologie des peuples africains Sorko ou Dogon est omniprésente dans les films de Rouch et objet principal de ses recherches. Grâce à l’improvisation, sa caméra se révèle être à même d’explorer ce domaine dans lequel des figures mythologiques communiquent avec les personnages de ses films. La caméra, qui est capable de sonder les frontières qui séparent l’imaginaire de la réalité, tout comme celles de la magie et de la rationalité, est pour Rouch le meilleur instrument afin d’observer comment les humains se comportent avec le visible et l’invisible et surtout, comment ils pensent la liaison entre les deux. Telle une membrane, la caméra vient prouver que l’anthropologie continue à développer son savoir culturel concernant les autres et soi-même, et surtout : le lien entre les deux.
L’été 1955, au Festival de Venise, Rouch présente dans la revue de cinéma Positif le film ethnographique en ces termes : « Quels sont ces films, quel nom barbare les distingue-t-il des autres? Existent-ils? Je n’en sais rien encore, mais je sais qu’il y a certains instants très rares où le spectateur comprend soudain une langue inconnue sans le truchement d’aucun sous-titre, participe à des cérémonies étrangères, circule dans les villes ou à travers des paysages qu’il n’a jamais vus mais qu’il reconnaît parfaitement. […] Ce miracle-là, seul le cinéma peut le produire, mais sans qu’aucune esthétique particulière puisse en donner le mécanisme, sans qu’aucune technique spéciale puisse le provoquer: ni le contrepoint savant d’un découpage, ni l’emploi de quelque cinérama stéréophonant, ne causent de tels prodiges. Le plus souvent, au milieu du film le plus banal, au milieu du sauvage hachis des actualités, dans les méandres du cinéma d’amateur, un contact mystérieux s’établit : le gros plan d’un sourire africain, un clin d’oeil mexicain à la caméra, un geste européen si banal que personne n’avait songé à le filmer, forcent ainsi le visage bouleversant de la réalité. C’est comme s’il n’y avait plus de prise de vue, plus d’enregistreur de son, plus de cellule photo-électrique, plus de cette foule d’accessoires et de techniciens qui forment le grand rituel du cinéma classique. Mais les faiseurs de films d’aujourd’hui préfèrent ne pas s’aventurer sur ces voies dangereuses; et seuls les maîtres, les fous et les enfants osent appuyer sur des boutons interdits[15]. »
La définition qu’offre ici Rouch du cinéma ethnographique met en avant le caractère essentiellement non-professionnel des films qu’il produit. C’est ce caractère « amateur » qui est le garant d’un rapport à la vérité, c’est-à-dire d’une miraculeuse révélation de la réalité qui sache prendre en compte la situation engendrée par la caméra elle-même, avec toutes les imperfections, maladresses qu’elle suppose et qui sont porteuses d’une grande richesse d’informations. Un film ethnographique atteint son but lorsqu’il livre, à un moment donné, une image de la réalité qui soit à la fois simple et non mensongère. Ce « contact mystérieux » dont parle Rouch ne fait-il pas référence au potentiel de transmission du mode de pensée associative qui opèrerait par comparaison et confrontation d’images et qui, avec l’apparition du cinéma, s’exprimerait dans la technique du montage cinématographique ?
L’œuvre cinématographique de Rouch réactualise – hypothèse que nous nous risquons à avancer ici en guise de conclusion – un potentiel peu exploité jusqu’alors au niveau théorique de l’esthétique : la pensée analogique. Penser analogiquement signifie que l’on comprenne quelque chose à travers une autre – et cela, par l’observation et l’analyse de certains rapports entre les objets observés (comme par exemple, la ressemblance). Grâce à l’analogie, un lien est rendu possible entre des régions – ou plans – si ce n’est séparés : entre le phénomène et la chose en soi, l’intuition et la raison, l’homme et dieu.
Déjà au 18ème siècle, l’esthétique trouve dans l’analogie une forme de savoir à même de décrire le monde à partir de ses apparitions et de tenter de le comprendre à partir de celles-ci. Alexander Gottlieb Baumgarten définit l’esthétique comme « analogon rationis » et caractérise cette nouvelle discipline comme une partie de la « psychologie empirique ». Dans son Æsthetica de 1750, Baumgarten écrit au §1 : « DIE ÄSTHETIK (Theorie der freien Künste, untere Erkenntnislehre, Kunst des schönen Denkens, Kunst des Analogons der Vernunft) ist die Wissenschaft der sinnlichen Erkenntnis »[16].
L’esthétique propose une approche systématique de la beauté de la pensée et des représentations que cette belle pensée produit. Cette branche de la psychologie empirique nouvellement définie ouvre de nouvelles perspectives tout en s’appuyant sur la tradition rhétorique. Si elle prend naissance dans la continuité de la rhétorique, l’esthétique ne s’intéresse néanmoins pas aux mêmes mécanismes : elle traite elle aussi de la forme et de la beauté de la langue ou de la pensée comme techniques de persuasion, or, ce traitement est soumis à son objet principal qui est la connaissance sensible dans sa dimension « claire, mais confuse ».
Dans le vocabulaire cartésien, une représentation est dite « claire » lorsqu’elle est présente et évidente pour l’esprit qui la produit ; une considération qui n’est pas claire est qualifiée de représentation « obscure ». « Distinct » désigne le fait qu’une représentation se différencie très exactement de toutes les autres connaissances ; une considération qui n’est pas distincte est qualifiée de représentation « confuse ». Les objets « clairs, mais confus » de l’esthétique appartiennent au domaine des perceptions subjectives et concernent avant tout les œuvres d’art. Pareilles représentations ne produisent pas une image distincte et détaillée de la réalité, mais construisent plutôt son reflet sous la forme d’une totalité claire.
Par la production de ressemblances et la génération d’impressions, cette entreprise de réflexion rend possible un certain type de savoir : non pas l’explication logique d’un domaine invisible, mais le sentiment, et par-là l’imitation, d’une unité claire qui est visible, tangible et audible. Au sein de ce processus de reproduction d’une réalité dans sa dimension « claire, mais confuse », ces représentations sensibles ne reposent pas sur une illusion, puisqu’elles remplissent une fonction cognitive dans la construction de la connaissance du monde – même s’il s’agit davantage d’une connaissance de l’image du monde que du monde dans sa structure ou son essence. Productrice d’un savoir par l’art, la connaissance esthétique qui en résulte entretient néanmoins un rapport compliqué et dynamique à la vérité. Si elle imite les lois logiques de la raison, elle procède de la même manière avec les ressemblances et autres procédés sensibles qu’avec les chaînes causales et s’amuse à panacher ces deux domaines. Les lois logiques de la causalité et le procédé sensible d’un repérage des ressemblances jouent de leur différence et introduisent un flou pour plus d’efficacité dans les effets.
Grâce à l’analogie et la narration improvisée, les films de Rouch jouent avec la confrontation de différents plans comme l’image et le son, la réalité et l’imagination, l’art et le savoir. Rouch utilise le plus souvent le plan-séquence, de manière à interrompre le moins possible le processus du film qui est en train de se tourner. Ses films produisent un savoir « clair, mais confus », car la réalité est représentée cinématographiquement comme un tout. Ce « tout » concerne tout autant le film que les événements filmés – s’agissant, pour ces derniers, presque toujours de séquences issues de rituels qui reposent eux-mêmes sur une image du monde s’apparentant à une totalité mythologique.
Dans cette entreprise, Rouch vise pourtant à compliquer ce procédé analogique et à gêner la perception des ressemblances : failles, équivoques, fragments empêchent la production d’une image trop simple de la réalité. C’est là que réside le potentiel cognitif de son écriture filmique et la possibilité d’un « contact mystérieux » qui ne soit pas associé à une entreprise de mystification et d’embellissement. Les enregistrements d’image et de son ininterrompus du plan-séquence sont exemplaires de ce potentiel : ils décrivent la réalité dans un mouvement continu, laquelle réalité, représentée comme un continuum, devient cependant plus difficile à lire.
Clara Pacquet
NOTES
[1] Damouré Zika (1923-2009) accompagne Rouch tout au long de sa carrière, jusqu’à sa mort en 2004.
[2] Les propos de Jacques Rivette dans les Cahiers du cinéma ici rapportés vont même très loin : « Rouch, c’est le moteur de tout le cinéma français depuis dix ans, bien que peu de gens le sachent. Jean-Luc Godard est parti de Rouch. D’une certaine façon, Rouch est plus important que Godard dans l’évolution du cinéma français. Godard va dans une direction qui ne vaut que pour lui, qui n’est pas exemplaire à mon avis. Alors que tous les films de Rouch sont exemplaires ». Cité d’après G. Marsolais, L’Aventure du cinéma direct, Paris, Seghers « Cinéma club », 1974, p. 93.
[3] A la fin des années 1960, Godard met fin à son activité individuelle de cinéaste. Il fonde avec d’autres réalisateurs le collectif baptisé « Groupe Tziga Vertov » et tourne des films jusqu’à la fin des années 1970 uniquement dans le contexte du collectif. Le cinéma russe d’avant-garde est à cette époque redécouvert par de nombreux artistes radicaux. La référence de Rouch à Vertov contribue pour une grande part à cette redécouverte.
[4] Voir P. Henley, The Adventure of the Real. Jean Rouch and the Craft of Ethnographic Cinema, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2009, p. 176. On raconte même que Jean-Luc Godard aurait voulu intituler son film A bout de souffle « Moi, un blanc » en référence au film de Rouch.
[5] « Moi, un Noir est, en effet, le plus audacieux des films en même temps que le plus humble. C’est fichu comme l’as de pique mais c’est le film d’un homme libre, au même titre qu’Un Roi à New York de Chaplin. Moi, un Noir, c’est un français libre qui pose librement un regard libre sur un monde libre. » J.-L. Godard in Arts, « Etonnant », n° 713, 11 mars 1959.
[6] Chronique d’un été est le premier film en France à utiliser le magnétophone autonome et la caméra synchrone silencieuse et portable qui offrent tous deux une grande maniabilité et simplifient considérablement les conditions de tournage d’un film. L’apparition de ces instruments rend le médium du film accessible à un plus grand nombre et les chercheurs en anthropologie se saisissent de ces nouvelles possibilités.
[7] Voir l’ouvrage de référence pour les militants anti-colonialistes, exemplaire de la condamnation sans appel des ravages causés par le système colonial : F. Fanon, Les Damnées de la terre [1961], Paris, éditions La découverte & Syros, 2002. Franz Fanon était psychiatre et propose une analyse politique du traumatisme du colonisé.
[8] « Dans la salle du musée de l’Homme, je projette les rushes non montés en improvisant un commentaire explicatif depuis la cabine de projection. Mais par la fenêtre de la cabine, j’entendais des rumeurs dans la salle et, quand je suis descendu, elles étaient devenues des hurlements, des cris, des sifflets. Il y avait là Marcel Griaule qui était mon professeur à la Sorbonne et mon directeur de thèse, rouge de fureur, qui me dit : « Il faut détruire ce film immédiatement ! » A ses côtés, Paulin Vieyra, jeune cinéaste dahoméen qui se trouvait à l’Idhec [Institut des hautes études cinématographiques – aujourd’hui la Fémis] à ce moment, déclare aussi, gris de colère : « Nous sommes d’accord pour une fois avec le professeur Griaule, il faut le détruire. » Voir J. Rouch, Cinéma et anthropologie, textes réunis par J.-P. Colleyn, Paris, éditions des Cahiers du cinéma, 2009, pp. 40-41.
[9] « Pour moi, donc, la seule manière de filmer est de marcher avec la caméra, de la conduire là où elle est le plus efficace, et d’improviser pour elle un autre type de ballet où la caméra devient aussi vivante que les hommes qu’elle filme. C’est là la première synthèse entre les théories vertoviennes du «cinéoeil» et l’expérience de la «caméra participante» de Flaherty. Cette improvisation dynamique […] n’est pas autre chose que l’harmonie d’un travelling marché en parfaite adéquation avec les mouvements des hommes filmés. Ici encore, c’est une question d’entraînement, de maîtrise du corps qu’une gymnastique adéquate permet d’acquérir. Alors, au lieu d’utiliser le zoom, le caméraman réalisateur pénètre réellement dans son sujet, précède ou suit le danseur, le prêtre ou l’artisan, il n’est plus lui-même mais un «oeil mécanique» accompagné d’une «oreille électronique». C’est cet état bizarre de transformation de la personne du cinéaste que j’ai appelé, par analogie avec les phénomènes de possession, la «ciné-transe». » Dans J. Rouch, « La caméra et les hommes » [1973] in: C. De France, Pour une anthropologie visuelle, Paris / La Haye, Editions Mouton, « Cahiers de l’homme », 1979, p. 63.
[10] Vertov déclare lors de la résolution du Conseil des Trois le 10 avril 1923: « L’objectif est la vérité. Tous nos procédés, nos méthodes, nos genres, etc. sont des moyens. Différents chemins créatifs, mais l’objectif doit rester le même: la vérité. » Nous traduisons d’après HOHENBERGER, Eva (éd.), Bilder des Wirklichen. Texte zur Theorie des Dokumentarfilms, Berlin, Vorwerk 8, 1998, p. 82. Cité ici d’après L. Fischer, „Enthusiasmus: Vom Kinoglaz zum Radioglaz“ [1977] in V. Kamensky, J. Rohrhuber (éd.), Ton. Texte zur Akustik im Dokumentarfilm, Berlin, Vorwerk 8, 2013, p. 380.
[11] On peut entendre Rouch par exemple commenter en voix-off dans son film tardif Madame l’eau (1992) cette pratique inchangée de l’improvisation qui caractérise son cinéma dès ses débuts : « Quand nous faisons un film avec Damouré, Lam, Tallou [les compagnons de Rouch qui collaborent depuis ses premiers films à ses projets en tant que comédiens ou techniciens], c’est un défi permanent. Nous inventons des situations sans issue. Nous nous posons des énigmes insolubles. Alors, nous entrons dans l’inconnu, et la caméra est bien obligée de nous suivre et d’improviser, pour le meilleur et pour le pire. » Voir aussi le texte „Le commentaire improvisé à l’image“. Entretien avec Jean Rouch, propos recueillis par Jane Guéronnet et Philippe Lourdou, in C. De France (éd.), Du film ethnographique à l’anthropologie filmique, Bruxelles/Paris/Bâle, éditions des archives contemporaines, 1994, pp. 159-166.
[12] Dans le film Jean Rouch raconte à Pierre-André Boutang (2004), Rouch raconte : « Je fais mes films comme on dessinerait un pont. [Transvasement de la méthode des approximations successives dans la réalisation de film.] C’était très important pour l’anthropologie. J’étais au milieu des anthropologues dont la plupart étaient des philosophes. Sauf Griaule qui préparait Polytechnique pendant la Guerre de 14-18. Mais tous les autres étaient des philosophes ou des littéraires. Moi je me trouvais tout d’un coup avoir une formation mathématique […] et d’avoir été mêlé à des choses dans lesquelles les mathématiques n’ont rien à voir. Les danses de possession, c’est un autre domaine. J’avais à la fois la naïveté et la rigueur des choses. »
[13] Jean Rouch : une rétrospective, Ministère des relations extérieures, Cellule d’animation culturelle ; Service d’étude, de réalisation et de diffusion de documents audio-visuels du C.N.R.S., Paris, Ministère des relations extérieures, 1981.
[14] Voir S. Kracauer, Theory of Film. The Redemption of Physical Reality, Oxford University Press, 1960, p. 30: « The two main tendencies. If film grows out of photography, the realistic and formative tendencies must be operative in it also. Is it by sheer accident that the two tendencies manifested themselves side by side immediately after the rise of the medium? As if to encompass the whole range of cinematic endeavors at the outset, each went the limit in exhausting its own possibilities. Their prototypes were Lumière, a strict realist, and Méliès, who gave free rein to his artistic imagination. The films they made embody, so to speak, thesis and antithesis in a Hegelian sense. »
[15] Voir J. Rouch, Cinéma et anthropologie, op. cit., p. 59.
[16] A. G. Baumgarten, Ästhetik, Hamburg, Meiner Verlag, 2007, p. 11.