[COLLOQUE] Réalité(s), fiction, utopie

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Franz Erhard Walther, Elfmeterbahn (Nr. 5, 1. Werksatz), 1964. © VG Bild-Kunst, Bonn 2012. Photographie: Timm Rautert. Courtesy Franz Erhard Walther, KOW BERLIN, Timm Rautert

Réalité(s), Fiction, Utopie dans l’art des années 1960 à 1989 en France, RFA, RDA et Pologne

Organisé par Mathilde Arnoux et Clara Pacquet
Paris, Centre allemand d’histoire de l’art, 11, 12, 13 avril 2013

Le projet « À chacun son réel. La notion de réel dans les arts plastiques en France, RFA, RDA et Pologne de 1960 à la fin des années 1980 », financé par l’ERC, a organisé une rencontre internationale rassemblant chercheurs confirmés, post-doctorants et doctorants.

Durant les premiers mois du projet, le travail de recherche associant historiens de l’art et philosophes, ainsi que la confrontation de points de vue de chercheurs venant d’horizons différents, a pointé la pluralité de compréhension de ce qui relève du réel – ou de la/les réalité(s) – et la nécessité de combattre les malentendus interprétatifs par un travail de définition et de positionnement tant historiographique que géographique et disciplinaire. Conçu comme un travail en cours, cette rencontre internationale doit s’organiser autour de discussions et de débats entre les participants afin de confronter les différentes compréhensions du concept de réalité et d’interroger la pertinence d’une définition plurielle.

Présentation de la rencontre internationale « Réalité(s), Fiction, Utopie dans l’art des années 1960 à 1989 en France, RFA, RDA et Pologne »

Dans les années 1960-1989, la question de la réalité apparaît comme omniprésente. Objectif fixé à l’art par la théorie marxiste-léniniste et le réalisme socialiste – objectif par ailleurs ignoré, rejeté, contourné, voire détourné par les artistes –, la réalité fait également l’objet d’un questionnement constant au sein des arts qui font dialoguer l’art et la vie, à l’exemple de Fluxus. Si la réalité représente aussi un enjeu et une remise en question pour les démarches conceptuelles et la critique institutionnelle, elle est le lieu d’une interrogation et d’une recherche phénoménologique pour d’autres artistes. Les significations politiques, sociales, esthétiques s’entrelacent. La diversité des héritages, les croisements, les divergences de lecture des avant-gardes, les buts que les critiques ou les artistes assignent à l’art, infléchissent les définitions que nous avons du réel. Le rôle attribué à l’individu, ses rapports avec le collectif, les conceptions de la société, ou de l’utopie, qui souvent différent, voire s’opposent, sont autant de sujets nourrissant les pratiques artistiques et dont il faut affiner les définitions pour mieux saisir les déclinaisons de la réalité dans une Europe divisée par le rideau de fer. Si officiellement les deux blocs s’affrontent dans leur conception du monde, il est nécessaire de s’adonner à un travail de distinction selon les pays, les pratiques et la période historique. Tandis que l’on constate des écarts importants entre les contextes, des points de rencontre émergent dans certaines aspirations que partagent des oeuvres et des artistes. C’est pourquoi les ateliers du colloque réuniront des chercheurs d’horizons géographiques et disciplinaires différents afin de mettre en regard cette pluralité de points de vue.

Programme complet de “Réalité(s), fiction, utopie”: ici.

Argument et organisation thématique des ateliers

Durant les premiers mois du projet, le travail de recherche associant historiens de l’art et philosophes ainsi que la confrontation de points de vue de chercheurs venant d’horizons différents, ont pointé la pluralité de compréhension de ce qui relève du réel – ou de la/les réalité(s) – et la nécessité de combattre les malentendus interprétatifs par un travail de définition et de positionnement tant historiographique que géographique et disciplinaire. Conçu comme un travail en cours, cette rencontre internationale doit s’organiser autour de discussions et de débats entre les participants afin de confronter les différentes compréhensions de la réalité et d’interroger la pertinence d’une définition plurielle.

Pour encourager le dialogue, trois ateliers articuleront chacun la réalité à un autre terme, constituant à la fois son opposé et une définition en creux de la réalité envisagée.

Réalité/Réalités
Cet atelier interrogera la signification du terme « réalité » selon qu’il est compris au singulier ou au pluriel par l’artiste, le critique, le théoricien, dans des contextes où sa définition peut être soit prescrite soit librement établie. Il sera alors question d’aborder les conséquences d’une pareille injonction ou d’un pareil choix (singulière ou plurielle), sachant que différents aspects de « la réalité » dans sa tension avec « les réalités » pourront être convoqués : artistique, politique, esthétique, phénoménologique, sociologique, psychologique. Envisager des réalités plutôt qu’une réalité, peut s’apparenter à des démarches très différentes. On peut y voir l’introduction d’une subjectivité, la conviction que chaque expérience est unique, mais également la prise en compte d’une diversité qui serait plus objective en termes de connaissance empirique. S’échapper du cadre de la réalité établie suppose aussi un désir d’ouverture, une recherche de liberté. Or, n’est-ce pas constitutif de la réalité elle-même que de n’être qu’« une », au sens où elle s’apparenterait à une instance d’autorité qui fixerait ce qui serait reconnu comme « réel » au-delà des individus et des variations qu’ils occasionnent ? À l’inverse, qu’est-ce que cela suppose que de vouloir la relativiser ? Les artistes ne travaillent-ils pas justement sur le lieu même d’une tension entre « la » réalité et la possibilité de l’ouvrir vers d’autres régimes de sens qui viendraient la pluraliser ?

Réalité/Fiction
Dans le cadre de cet atelier, il sera question d’envisager la réalité dans son rapport à la fiction. Il est commun d’opposer la fiction à la réalité et de les saisir toutes les deux dans leur altérité. Cette opposition n’est cependant pas pure et toute fiction peut être composée de réalité, et même en produire. Inversement, toute réalité existe en tant que telle parce qu’elle repose aussi sur des éléments arbitraires qui ont trait à la fiction, au mythe, au symbolique, à l’imaginaire. On aime à voir en la fiction un outil à même de saisir la réalité à travers des énoncés (cinéma, littérature, théâtre), des assemblages de formes artificiels (lumière, couleur, lignes de composition, matière, mouvement), qui nous instruisent de manière inédite sur la nature de cette réalité qui, sans cela, resterait multiple et informe, et donc illisible. En dépit de ses capacités de dévoilement, la fiction n’est-elle pas aussi, inversement, un moyen parfois de dominer par la production et la diffusion de mythes ? Tout artifice finit-il, une fois fabriqué, par devenir nécessairement réel et de ce fait dangereux ? Les artifices dont use la fiction subvertissent les données immédiates du monde, pour accéder à un autre point de vue qui, s’il ne donne pas à voir la réalité entendue au sens d’un consensus social, d’un ordre établi ou même d’une évidence illusoire, entend représenter la réalité « vraie », celle qui ne peut exister hors de ce travail de représentation. Nous serons par conséquent amenés à interroger le lien entre fiction et vérité, fiction et connaissance et donc aussi réalité et vérité : la fiction est-elle effectivement un outil permettant de distinguer la réalité de la vérité ? Quelles sont les vertus heuristiques de la fiction ?

Réalité/Utopie
Le dialogue de la réalité avec l’utopie est un thème central de la guerre froide. La signification de l’utopie connait de forts changements au fil du temps et particulièrement à l’est du rideau de fer après la mort de Staline. La signification de la réalité n’est pas la même lorsque l’utopie est conçue comme un idéal social et politique à venir qui serait à atteindre à travers les moyens de l’engagement, lorsque le mot incarne l’échec d’un modèle de gouvernement ou lorsqu’il est assimilé à un idéal dont l’ambition n’est pas d’exister réellement. Réformer, transformer, agir, donner à voir ne passent pas par les mêmes biais, n’ont pas les mêmes enjeux, selon le lien qu’entretiennent réalité et utopie. La compréhension des buts de l’art : l’autonomie, le formalisme, la contestation, la subversion, sont à éclairer différemment selon les espaces en jeu. Est-ce qu’agir, prendre part à l’ici et maintenant s’oppose aux pratiques artistiques qui se revendiquent comme autonomes ? Comment ces pratiques entendent-elles agir ou pas sur la formation du monde ? N’est-ce pas une opposition qui se serait calcifiée dans le contexte de la guerre froide en opposant pratiques d’avant-gardes à pratiques académiques, pratiques de l’ouest à pratiques de l’est, relayant ainsi un discours politique ? Cet atelier veut confronter différents points de vue autour de ces questions.